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Se maquiller, ce n’est pas futile, 
c’est essentiel!
« Jouer avec les couleurs, jouer avec son visage, jouer avec son image… Ce n’est pas un hasard si le maquillage attise à la fois le désir et la méfiance. Car se maquiller est un geste qui n’est banal qu’en apparence ». Camille Saint-Jacques, peintre et écrivain revient sur sa vision du maquillage dans notre société.
Peintre et professeur de lettres à Colombes, dans les Hauts-de-Seine, Camille Saint-Jacques a commencé par s’intéresser à la paresse (Notre paresse, vice et vertu, Autrement, 2005), avant de consacrer un ouvrage au maquillage, L’Eloge du maquillage, du cosmos aux cosmétiques (Max Milo, 2007).
Flavia Mazelin Salvi, Audrey Tropauer et Ariane Le Febvre
Psychologies : Pourquoi faire l’éloge du maquillage comme s’il fallait le défendre ?
Camille Saint-Jacques : Le maquillage a toujours été attaqué par les penseurs, de Platon à Ovide, en passant par Socrate qui le comparait à une misérable tromperie, jusqu’à Baudrillard. De manière expresse ou tacite, il y a toujours eu, et il y a encore, cette idée construite sur la peur : le maquillage n’est qu’un artifice pour duper les hommes. Mais, et c’est un paradoxe qui ne manque pas de piquant, les hommes qui méprisent les artifices aiment aussi se laisser piéger par ces armes de séduction. Tout simplement parce que les efforts des femmes pour se rendre désirables sont, pensent-ils, la preuve de leur importance : ils sont au cœur de leurs préoccupations et, bien sûr, cela est très valorisant.
Le maquillage n’est pas seulement attaqué par les hommes, il l’est aussi par les femmes. Pourquoi ?
Camille Saint-Jacques : En effet, il fait l’objet de critiques ou de mépris de la part des femmes qui ont intégré la peur des hommes. Ce sont celles qui vantent les mérites d’une beauté nue, naturelle, transparente. Une beauté rassurante pour les hommes parce que figée, permanente. En ayant toujours le même visage, la même image, on dit à l’autre : « N’aie pas peur, je serai toujours celle que je suis maintenant. » Il y a aussi, chez de nombreuses femmes, une difficulté à assumer le maquillage comme un plaisir esthétique ou sensuel. Le désir de se disculper était très présent dans les nombreux témoignages que j’ai recueillis, alors que je travaillais à mon livre : « Je me maquille à peine », « Uniquement pour sortir », « Je mets juste un soupçon de poudre ou un gloss transparent »… Il y a aussi un désir de banaliser le geste, de le rendre automatique. De nombreuses femmes disent : « Je me maquille par habitude », « C’est juste pour avoir bonne mine »… Il y a là un vide, un blanc de la pensée, le propos est banal, il n’y a pas ou peu d’implication personnelle.
Cela s’explique peut-être parce que le maquillage est considéré comme un acte futile ou une preuve de soumission au désir des hommes ?
Camille Saint-Jacques : Il y a sans doute beaucoup de cela, de manière plus ou moins inconsciente. Le mépris, le rejet du maquillage de la part de certaines femmes traduit aussi une inquiétude liée à la rivalité sexuelle. Celle qui se maquille se dédouble, elle peut jouer à être toutes les femmes, son pouvoir de séduction est démultiplié. Elle est donc une menace que le mépris tente de neutraliser. Mais le maquillage ne saurait être réduit à la seule dimension de « séduction ». L’étymologie du mot cosmétique nous apporte un éclairage intéressant. Ce mot vient de « cosmos ». Le cosmos, par opposition au chaos, c’est l’univers ordonné.
L’expression « se refaire une beauté », lorsqu’une femme va se maquiller ou se remaquiller, ne dit pas autre chose : il s’agit de remettre de l’ordre, de l’harmonie, de recomposer un visage. Il y a dans cette démarche le désir de rétablir de manière visible une identité qui nous échappe. C’est ce qui me fait dire qu’en se maquillant, on ne se fuit pas, on se cherche. Ce n’est pas un hasard si, en prison ou dans les unités de soins palliatifs, on propose aujourd’hui des cours de maquillage. On voit bien qu’il y a là quelque chose qui touche à l’être et au désir. Désir de vivre ou de revenir à la vie. Il sert à faire émerger des identités profondes – surtout quand elles ont été mises à mal par la maladie, la prison ou la dépression – et à les socialiser. Ce n’est pas futile, c’est essentiel : l’essence de l’être cherche à s’exprimer, à se montrer, à triompher du chaos.

Certaines femmes maquillent de préférence leurs yeux, d’autres leur bouche, d’autres encore leur peau… Quels messages envoient-elles ?

Camille Saint-Jacques : Encore une fois, parce que je suis également peintre, j’associe le maquillage à la peinture. Ce n’est pas parce qu’une partie de la toile est restée vierge, sans dessin ni couleur, qu’elle est laissée en friche, abandonnée. Maquiller la bouche, c’est aussi, par contraste, mettre en valeur les yeux et réciproquement. Tout se joue dans le voilé-dévoilé, mais chaque partie compte dans la composition finale. La bouche évoque, bien sûr, la sensualité, la sexualité, la gourmandise ; les yeux sont des capteurs d’attention, un appel à l’échange, tandis que la peau exprime notre vitalité, notre santé. Une peau fraîche, un teint lumineux disent : « Je suis en forme, je vais bien. » C’est pourquoi, dans le monde du travail, un beau teint, une peau sans trop de rides et sans boutons est une façon d’affirmer : « Je suis efficace, énergique, productive. »
Chaque époque a son maquillage. Aujourd’hui, la mode est au nude, le « nu », ce maquillage sophistiqué mais invisible de la peau, des yeux et de la bouche. Quel fantasme cache cette tendance ?
Camille Saint-Jacques : Je vois, paradoxalement, dans cette promotion du « nu », la recherche d’une uniformisation de la femme ; d’ailleurs, et c’est amusant, en inversant les lettres on trouve « un ». On pourrait croire que le naturel, même très sophistiqué, laisse émerger la singularité de chacune. Il n’en est rien. Avec cette transparence, ce visage offert, on revient à ce fantasme de la femme que l’on peut lire et saisir, une bonne fois pour toutes. Parler de « nu » à propos d’un visage, ce n’est pas innocent. C’est à la fois une manière de l’érotiser tout en le contrôlant. Or, jouer avec les couleurs, les tons, les contrastes, mettre tantôt l’accent sur le teint, ou les yeux ou la bouche, c’est multiplier les possibles de soi, et cette multiplicité est l’essence même du féminin. Se maquiller, c’est accepter et donner à voir sa singularité et son hétérogénéité.
Les hommes s'y mettent aussi
Autobronzants, poudres mates ou fluides teintés… Les hommes sont de plus en plus nombreux à avoir recours aux cosmétiques pour donner un coup de pouce à mère nature.
Leur exigence : des produits bien distincts de ceux de leur compagne. Couleur, texture, parfum, packaging, tout est étudié pour les convaincre que l’on peut être soigné… et viril ! Les gestes sont simples, les conditionnements épurés. « Le maquillage masculin n’est plus un tabou », constate Charlotte Lesvèque, chargée de communication de Jean Paul Gaultier Parfums, qui a lancé en 2003 la première ligne de maquillage pour homme. L’objectif de ces nouveaux consommateurs est de paraître « plus présentables », d’avoir « bonne mine ».
Cadres et commerciaux pensent qu’entre 30 et 50 ans, l’apparence fait aussi la différence. Quant aux perfectionnistes, métrosexuels et dandys, ils peuvent se laisser tenter par des gels pour les cils et les sourcils, des stylos pour faire briller les ongles et même des khôls...
Vous pouvez retrouver cet article dans son intégralité sur le site de Psychologies.com en cliquant sur le lien suivant:
http://www.psychologies.com/Beaute/Visage/Maquillage/Interviews/Se-maquiller-ce-n-est-pas-futile-c-est-essentiel-!



Sylvia Galipeau
Silvia Galipeau
La Presse
Chaque année, avec l'arrivée du printemps, c'est la même chanson: les magazines féminins nous en mettent plein la vue avec les nouveaux coloris d'ombres à paupières pour l'été, l'art du teint parfait, du regard charbonneux, sans oublier le «retour» des lèvres incendiaires et autres couleurs vives. Alors la question se pose: pourquoi diable se maquille-t-on, au fait? Pour se faire plaisir, suivre une mode, cacher ses défauts ou au contraire s'embellir? Discussion psychanalytique autour d'un art qui ne date pas d'hier.
Le saviez-vous? Il y a des centaines de milliers d'années, la femme des cavernes se maquillait déjà. Non pas pour séduire, mais bien pour s'enlaidir! Dans l'objectif d'échapper aux razzias des mâles, qui eux cherchaient à s'approprier les meilleures femelles et surtout leur inégalable «force vitale».
Inversement, dans certaines tribus, notamment chez les Massaïs au Kenya, ce sont les hommes qui se maquillent, blanchissant leurs dents et colorant leurs pommettes, cette fois pour plaire et surtout attirer les femmes (et leur fameuse «force vitale»).
«Non, le maquillage n'a rien de nouveau», confirme la psychanalyste et auteure française Marie-Louise Pierson. Il faut dire que la dame a un regard unique sur l'importance de l'image et de l'apparence dans nos vies. Auteure de plusieurs livres sur la question (dont L'image de soi, publié la première fois il y a plus de 30 ans et réédité régulièrement depuis), elle a commencé sa carrière de l'autre côté de la barrière... à titre de mannequin! Et pas n'importe où: chez Coco Chanel!
Pourquoi avoir bifurqué ensuite vers la psychanalyse? «Pour sauver ma peau», répond sans hésiter la dame au bout du fil, à Paris.
«C'est un métier extraordinairement destructeur. Les gens ne peuvent pas s'imaginer à quel point. Devoir se conformer au désir de quelqu'un. Fais comme ci, fais comme ça. Ta tête comme ci, ta tête comme ça. Il faut toujours être un caméléon, changer constamment d'identité, c'est très dangereux pour sa propre identité! J'ai donc décidé de faire des études de psychologie pour trouver un équilibre», explique la psychanalyste, qui anime aujourd'hui des ateliers de groupe sur «l'art de se maquiller sans se trahir».
Un regard critique
Son parcours hors du commun lui permet de poser un regard unique et surtout très critique sur l'évolution des tendances en matière de maquillage au cours du dernier siècle. Prenez les femmes des années 20, par exemple. Dans les oeuvres de Colette, signale-t-elle amusée, on explique déjà clairement pourquoi les femmes doivent se maquiller. «Elle écrit tout ce qu'il faut faire, c'est extraordinaire. Elle dit qu'il faut se maquiller beaucoup les yeux et la bouche, très jeune, pour qu'en vieillissant, les gens ne remarquent pas la différence!»
Dans les années 30 et 40, avec leurs cheveux parfaits et leur peau de lait, les femmes semblent magnifiques en photo et à l'écran (on pense ici à la mythique Loulou de Louise Brooks). Mais à l'oeil nu? «Elles avaient les traits très durs», fait-elle valoir.
Après des décennies de «durcissement du visage» pour rester ainsi figées dans le temps, les femmes finissent par user toujours plus abondamment de mascara, crayons et poudres en tous genres. C'est finalement dans les années 60 et 70 qu'elles atteignent un sommet. «C'est fou ce qu'on se maquillait!» se souvient l'auteure, faisant référence aux incontournables faux cils et autres fonds de teint.
Par coquetterie? «J'ai fouillé dans les archives du magazine Marie-Claire pour trouver la liste de tout ce qu'une femme devait apporter au bureau pour être jugée correcte», répond l'auteure. Non seulement elle devait traîner son vernis pour faire des retouches en cas de besoin, mais aussi du dissolvant, du fond de teint, de l'eau de Cologne, et aussi, tenez-vous bien... un postiche!
«Aujourd'hui, tout cela est devenu beaucoup plus subtil, enchaîne-t-elle. Depuis les années 90, je dirais que c'est assez récent donc, on est de plus en plus attirés par une image raffinée et naturelle.»
Le mot «naturel» est bien sûr ici à prendre avec un grain de sel. «C'est une vision de l'esprit. Pour avoir cet air naturel, il y a bien souvent 40 minutes de travail. Oui, c'est absurde», concède l'ex-mannequin, qui, pour la petite histoire, a toujours refusé qu'on la maquille trop. «J'étais en quelque sorte une guerrière soft! Je refusais qu'on modifie trop mon apparence», se souvient-elle en riant.
Les bonnes raisons de se maquiller
Aujourd'hui, Marie-Louise Pierson avoue se maquiller, toujours les lèvres pour travailler («par respect pour mes clients»), et surtout les yeux quand elle sort avec son amoureux («parce que je sais qu'il aime mes yeux verts»). Paradoxal, vous croyez? Pas tant que ça. Car si elle dénonce l'emprise, la «torture» de l'industrie des cosmétiques et de la mode, qui décrètent un jour qu'il faut se mettre aux couleurs pastels, le lendemain au rouge vif, à l'orangé et pourquoi pas au fuchsia, Marie-Louise Pierson croit néanmoins qu'il existe toutes sortes de «bonnes raisons de se maquiller».
D'abord, le fait de se toucher, de se regarder, de se donner un peu d'attention tous les jours ne peut finalement faire de mal à personne. Par ailleurs, l'univers social est parfois si hostile que l'on peut éprouver le besoin de se créer une sorte de «carapace» derrière un rouge à lèvres ou un cache-cerne. «Il est parfois plus facile de se confronter à une réunion avec un boss grincheux, des collègues rapaces et des clients peu aimables avec une forme de masque. On se sent plus protégées, moins vulnérables.»
Bien des femmes délimitent ainsi leur vie privée («où elles s'abandonnent») et leur vie publique (où elles sont «avocates, médecins, finalement professionnelles») d'un trait de crayon ou d'une couche de rouge à lèvres. «Et plus l'univers social est agressif, plus il exige de nous que nous jouions un personnage.»
Et après tout, le maquillage n'est-il pas l'instrument d'un grand jeu? «Mais bien sûr, admet la psychanalyste. Et ça n'est pas parce que c'est ludique que c'est artificiel». Car, grâce à ce jeu, chacun peut aussi révéler différentes facettes de sa personnalité. «On se maquille pour être soi. À un moment donné, moi, j'ai décrété que mon rouge à lèvres orangé, c'était moi. Mais avec mon amoureux, je montre une autre facette (sans rouge à lèvres, parce que je veux qu'il m'embrasse!), parce que finalement, le moi n'est pas univoque!»
Oui au maquillage, donc, quand c'est pour s'amuser, retrouver sa créativité, bref, pour se faire plaisir. Plaisir à soi. Par choix. Mais non au maquillage, quand c'est pour répondre à des diktats et des normes de beauté finalement inatteignables. «Si les femmes, pour se sentir elles-mêmes, jouent avec les produits, pourquoi pas? Mais ce qui est important, c'est d'avoir des choix...»
Le parcours de Marie-Louise Pierson relève du conte de fées. Enfin, pas tout à fait. Dans un livre à paraître sur sa vie, elle raconte que sans le sou, moche de surcroît (enfant, elle se faisait appeler «bouche carrée «), elle décide à 17 ans de dépanner une amie. Celle-ci travaille chez Marie-Claire. Un jour, elle lui demande d'effectuer une livraison. «Je suis partie livrer une paire de chaussures chez Chanel. Et puis je me suis trompée de porte. Et je suis rentrée chez Coco Chanel. Le hasard fait parfois bien les choses... « Après plusieurs années dans le métier, elle décide finalement de se tourner vers la psychanalyse. Pourquoi ? «Pour sauver ma peau «, résume la dame, désormais auteure de plusieurs ouvrages sur l'estime de soi, dont L'image de soi, Valorisez votre image et Renaître après la dépression.

L'imaginaire, 
nouvelle réalité scientifique ?

De nombreuses recherches en neuro-imagerie cérébrale le révèlent : voir et imaginer activent les mêmes zones du cerveau. Au delà de la vision, de récentes études confirment qu’il en serait de même avec l’audition. Si Voir, entendre, ou imaginer relèvent des mêmes circuits neuronaux, comment notre esprit fait-il la différence entre le réel et l’imaginaire ? Et à quoi sert l’imagination ?
© MarkTipple
Depuis une dizaine d’année, plusieurs études neuroscience ont déjà pu démontrer que la perception visuelle et l’imagination solliciteraient les mêmes zones du cerveau. En effet, grâce à la neuro-imagerie (IRM) qui rend possible l’observation de l’activité cérébrale, lorsque l’on demande à la personne sous IRM de penser à une image, on a constate que le réseau activé comprend des zones « associatives » du cortex cérébral, où sont traités les aspects sémantiques de l'image, mais aussi des zones du cortex visuel spécialisées dans le traitement de l'image rétinienne (y compris la zone du cortex visuel « primaire » où aboutissent les fibres en provenance de la rétine).
En clair, que ma grand-mère soit là, en face de moi, en chair et en os, c’est-à-dire dans la réalité extérieure ou qu’elle m’apparaisse en souvenirs dans ma tête, c’est-à-dire dans la réalité intérieure, pour mon cerveau : aucune différence !

Une équipe de l'université de Berkeley va plus loin, en se penchant cette fois sur la perception auditive. En plaçant des électrodes à la surface du lobe temporal supérieur d’une quinzaine de patients — lobe chargé de l'audition mais aussi de certaines étapes du processus de la parole —, ces scientifiques américains ont ainsi enregistré leur activité neuronale au moment où ils écoutaient des mots et des phrases pré-enregistrés. Ils ont ensuite réussi à deviner, et même à reconstruire ces mots directement à partir de l’analyse de cette activité cérébrale, en des sons plutôt compréhensibles. On appelle cela de la "reconstruction de stimulus". « Que vous écoutiez votre chanson favorite ou que vous la fredonniez dans votre tête, nous avons remarqué que les mêmes zones du cerveau auditif étaient activées. C’est comme si vous entendiez réellement cette chanson alors que la pièce dans laquelle vous vous trouvez est bel et bien silencieuse » explique Brian Pasley, le neuroscientifique qui a mené ces recherches à Berkeley. « Cette étude inciterait donc à penser que la perception auditive et l'imagination peuvent également être assez similaires dans le cerveau », ajoute-t-il.
Si voir et imaginer, ou si entendre et imaginer activent les mêmes zones du cerveau, comment, finalement, notre conscience est-elle capable de faire la différence entre une réalité externe et une réalité interne, entre une vision d’un objet extérieur réel, et celui d’un souvenir ?
Cette question pourrait rester cantonnée au domaine de la psychiatrie. En effet, ne pas être capable de discernement conscient et « voir » quelque chose qui n’est pas présent dans la réalité, mais uniquement dans notre « monde interne », tout en pensant le voir réellement s’appelle une hallucination — une perception sans objet ¬ — et cela relève, à priori, de la pathologie, du disfonctionnement. Effectivement, le fait que les mécanismes de la perception visuelle et auditive et celui de l’imagination soient les mêmes dans le cerveau pourrait laisser penser que, sans doute, chez certaines personnes, les neurones s’emmêlent les pinceaux et que c’est là que se trouve « l’explication » de ces hallucinations. Toutefois, ces observations scientifiques renvoient également à une question philosophique : « Ces études corroborent quelque chose que l’on sait, que l’on sent mais que notre culture occidentale a dénigré, déclare Fabrice Midal, philosophe français spécialiste du bouddhisme. Jusqu’au 18ème siècle, le fait de voir et d’imaginer étaient déjà considérés comme similaires. C’est à partir de la pensée de Descartes que l’imagination est devenue insignifiante et que l’idée même de la réalité s’est étriquée. C’est le drame de notre société actuelle ! Elle est pourtant une ressource de l’esprit totalement naturelle et qui ne fait appel à aucun élément de croyance. » L’imagination, une ressource de l’esprit ?!?

Qu’est ce que l’imagination ? La capacité d’une personne à visualiser une situation. Cette capacité constitue un outil central dans plusieurs traditions spirituelles. Pourquoi la « visualisation » est-elle si importante dans la transmission des enseignements du bouddhisme tibétain ? Comment les « visions » chamaniques permettent-elles au chamane d’obtenir des informations avérées sur ces patients ? Pourquoi et comment, en résumé, l’imagination peut-elle nous permettre de connaître notre environnement ? Et nous-même ? Pour Fabrice Midal, « l’imagination permet de créer un lien entre le monde corporel et le monde spirituel. Elle représente également une part de réalité profonde, car elle peut constituer un puits d’énergie, générer une émotion, nourrir notre créativité ou encore changer, de manière positive, notre état d’être et notre perception du monde extérieur ». Et de conclure : « Si vous pensez à votre grand-mère, que ce soit le souvenir de son visage, de son parfum ou du son de sa voix, cette seule pensée — induite par les mêmes zones du cerveau que si vous la voyiez — ne la rend-elle finalement pas réelle ? »
Alors, est-on en train de voir le monde, ou de l’imaginer ?
Retrouvez cet article sur le site de l'INREES  http://inrees.com/

Comment stimuler votre créativité ?

Les conseils du Pr Mihalyi Csikszentmihalyi




Qu’il s’agisse de s’exprimer dans une discipline artistique, une profession, un nouveau mode de relation ou une façon de vivre, chacun de nous a potentiellement l’énergie psychique nécessaire pour mener une existence créative. Mais, selon le professeur Csikszentmihalyi, vétéran du département psychologique de l’université de Chicago, quatre obstacles classiques bloquent souvent ce potentiel :
1°) Trop de travail, de charges, de responsabilités, de soucis peuvent nous épuiser et nous mettre en manque d’énergie créatrice ;
2°) Nous pouvons avoir du mal à nous concentrer et à canaliser cette énergie ;
3°) La paresse, l’esprit de procrastination, l’absence de discipline peuvent dilapider notre élan ;
4°) Enfin notre motivation et nos objectifs peuvent s’avérer trop flous pour conduire une création à terme.

Ces obstacles peuvent être levés progressivement en quatre étapes :

1. Réveillez votre curiosité

• Le premier pas vers un réveil de la créativité consiste à cultiver volontairement votre curiosité, c’est-à-dire à consacrer de l’attention aux choses pour elles-mêmes. Chaque jour, laissez-vous surprendre par quelque chose. Ne partez pas du principe que vous savez déjà tout de cette chose ou qu’elle ne vous intéresse pas de toute façon. Ouvrez « les yeux qui sont dans vos yeux », comme dit le Talmud. Soyez ouvert à ce que vous dit le monde.
• Inversement, chaque jour, essayez de surprendre une personne au moins. Rendez-vous compte de vos routines. Elles peuvent être excellentes, pour économiser votre énergie. Mais elles vous rendent prévisible. Amusez-vous à rompre avec telle ou telle habitude. Par exemple, invitez quelqu’un à sortir dans un endroit où vous n’êtes jamais allé. Ou changez d’apparence.
• Ensuite, notez chaque jour par écrit ce qui vous a le plus surpris et comment vous avez surpris les autres. Plus tard, vous pourrez relire la suite de vos surprises et cela vous fera réfléchir. Prendre des notes rend l’existence moins fugitive. Au bout de quelque temps, vous pouvez voir apparaître des constantes dans vos intérêts, signalant des directions créatives possibles.
• Dès qu’une direction se dégage (l’éveil d’un réel intérêt), poussez plus loin. Est-ce une idée, une musique, une technique, un animal ? Ne dites pas que vous n’êtes ni penseur, ni musicien, ni ingénieur, ni zoologue ! Le monde entier vous concerne et nous sommes là pour apprendre, enquêter, inventer.

2. Érotisez vos activités

• Il ne s’agit pas de sexe, mais d’un plaisir beaucoup plus général et diffus. Il faut apprendre à aimer ce que l’on fait. Si possible tout ce que l’on fait. Vous pensez que c’est impossible ? L’une des clés de cette étape est de s’appliquer à bien faire tout ce que l’on fait. Que vous écriviez un poème ou fassiez le ménage, prépariez le repas ou appreniez une langue étrangère, plus vous y investissez d’effort, d’attention, de concentration, plus vous en tirerez de plaisir. Inversement, plus vous bâclez, négligez, pensez à autre chose et abandonnez devant l’effort, plus l’ennui vous envahira.
• Dans une logique proche du « changement à petits pas » de Robert Maurer, le Pr Csikszentmihalyi conseille de s’entraîner d’abord avec des gestes quotidiens les plus anodins, comme de se brosser parfaitement les dents (sic), puis de monter progressivement en complexité. Sinon l’ennui revient vite. Mais dès que l’intérêt et la passion entrent dans votre vie, le moindre domaine - du jardinage à la philosophie, de la menuiserie à l’approfondissement des relations intimes - devient si complexe qu’une vie entière ne suffirait pas à en faire le tour.
• Précisez ce que vous aimez et ce que vous détestez. Beaucoup de gens ignorent au fond ce qu’ils ressentent et pourquoi ils font ce qu’ils font. La personne créative vit en contact direct avec ses émotions ; elle s’en va vite si elle s’ennuie et s’investit intensément si elle apprécie la situation.

3. Cultivez vos germes de créativité

• Une fois l’énergie créative réveillée, il faut la protéger et la canaliser, sinon, distraction et négligence l’éroderont. Paradoxalement, l’une des façons de le faire peut être de s’accorder des zones de paresse. Einstein portait toujours le même vieux pantalon, se facilitant la vie au maximum sur le plan vestimentaire. Cela vous semble contradictoire avec la lutte contre les routines ? C’est qu’on franchit là une étape, où la concentration et l’attention consistent à abandonner tout contrôle. De la même façon, celui qui pratique la méditation élargit ses frontières en cessant de diriger ses pensées et en tentant de se fondre dans l’énergie qui sous-tend le monde des apparences.
• Prenez votre emploi du temps en main, si possible en fonction de vos propres rythmes. Il est temps de vous demander à quel moment vous préférez réellement manger, dormir, travailler, etc. Manger et dormir sainement compte beaucoup.
• Aménagez-vous des temps de non-agir. N’ayez pas peur de rester inoccupé à certains moments. Une agitation constante ne favorise pas la créativité. Observez régulièrement des pauses, pour faire un bilan et surtout pour laisser de nouvelles idées spontanément émerger. Trouvez aussi quel type d’activité tranquille (marche, jardinage, broderie, bricolage...) peut accompagner ces émergences.
• Organisez votre espace. Si vous le pouvez, il est évidemment préférable de vivre et de travailler dans un endroit où vous vous sentez bien. À l’intérieur même de votre lieu de vie, découvrez quel type d’aménagement et de rangement favorisent votre créativité.

4. Intériorisez vos structures créatrices

• Selon le Pr Csikszentmihaly, la créativité jaillir de façon préférentielle chez les gens dont le caractère est composite, ambivalent, voire contradictoire. Les chercheurs de l’université de Chicago ont relevé au moins dix sortes de contradictions fécondes. La personnalité créative est par exemple : extravertie et timide, ou orgueilleuse et modeste, lucide et naïve, masculine et féminine, forte et fragile, casanière et nomade, ordonnée et désordonnée... Il convient d’apprivoiser ces balancements en nous-mêmes, et surtout d’aider enfants et adolescents à les vivre - et les accepter tels !
• Progressez dans la complexité, sans confondre celle-ci avec la complication : la première est intégrée, c’est-à-dire vécue intérieurement, alors que la seconde est un collage chaotique qui reste extérieur à vous-même. Ici, pas de raccourci : seule une pratique régulière, existentielle, souvent longue, permet l’intégration.
• Enfin redéfinissez votre quête à intervalles réguliers....

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L'état de grâce, 
l'objectif des champions

Dans l’effort, les sportifs vivent parfois des expériences extraordinaires entre le corps et l’esprit. De nombreux champions interviewés dans le documentaire Play l’évoque à demi-mots. Quel est cet état d’hyperconcentration et comment le développer ? Comment être dans « la zone », cet état de grâce que tous les sportifs veulent atteindre ? Enquête et témoignages de grands sportifs.
© AFP Photo
« Quand on regarde bien, je ne cours pas vite, je ne saute pas très haut, je ne suis pas vraiment costaud mais la différence avec les autres joueurs, c’est que je voyais le choses avant les autres. J’en suis convaincu. C’est ce qui faisait ma force, j’étais tout le temps dans le tempo. Je voyais une seconde avant les autres. »- Zinedine Zidane, footballeur.

« Arrive un moment où tout se joue au mental. Le gars à côté est dans le même état que toi. Il ne reste plus que quelques mètres à parcourir et c’est au plus profond de soi qu’il faut aller puiser pour faire la différence. Savoir que tu as cette force en toi est un sentiment extraordinaire. » - Oscar Pistorius, sprinter.

« A un moment donné, vous ne maîtrisez plus rien. Il y a une sorte de lâcher-prise quand c’est dur physiquement. Quand vous arrivez au bout du rouleau, il y a un moment où on ne peut plus prévoir ce qu’il va se passer. » - Justine Hénin, tennis woman.


Extrait du film Play (90’) réalisé par Manuel Herrero diffusé sur Canal + le 20 juin 2012 (Bonne Pioche Production). 


En quoi le mental est aussi important que la préparation physique ? Quel est ce phénomène étrange où le sportif agit soudain dans un état de fluidité, sans conscience de soi, sans penser comme s’il jouait instinctivement, comme s’il était « agi » ? Comment parvenir à parvenir à l’excellence ? L’intuition serait-elle la qualité indispensable pour devenir un champion ? 
Les nombreux sportifs qui participent aux Jeux Olympiques ont tous un très haut niveau. Ce qui va faire la différence et les hisser au rang de champions, c’est « leur capacité intrinsèque à se mettre dans un état d’éveil intérieur pour être le plus rapide, le plus vif, le plus intuitif possible afin d’anticiper les actions de l’adversaire ou la trajectoire d’une balle », explique Eric Parein, médecin du sport à Crach dans le Morbihan, coach sportif professionnel et formateur. Pour certains, il y a une part innée, pour les autres, cela peut se travailler. » Les sportifs le savent : pour optimiser leurs performances et rechercher la perfection, la préparation mentale est aussi importante que le physique. A ce titre, l’ancien joueur américain de basket en NBA, Kareem Abdul-Jabbar, déclarait un jour après un match : « la clé du succès, c’est de jouer avec son âme autant qu’avec son corps. »

En effet, les pensées nourrissent les émotions qui, elles-mêmes, déterminent une action. Ainsi, les sportifs s’appliquent à apprivoiser leur mental. « Il est très fréquent que les sportifs fassent appel à des techniques qui sollicitent l’inconscient, principal réservoir d’apprentissages, lieu de ressources et de sagesse. Il existe pour cela différentes techniques. D’abord, des exercices de visualisation mentale : à l’entraînement, le sportif va imaginer la course parfaite, y intégrer d’éventuels situations d’échec et anticiper des réponses au cas où cela lui arrivera dans la réalité matérielle pour adopter des automatismes, et avoir des gestes correcteurs sans passer par des phénomènes de réflexion. L’hypnose ericksonienne fonctionne très bien aussi car elle permet de faire appel à des circuits non mentaux. La respiration, la méditation, la Programmation Neuro-Linguistique ou encore la sophrologie vont également être utilisées dans les phases analytiques de recherche de ressources intérieures. Quand par exemple, un sportif répète, en compétition, la même situation d’échec, il va se confronter mentalement à ses erreurs, les verbaliser, les conscientiser, puis imaginer une situation de réussite. Tous ces outils ne conviennent pas à tous les compétiteurs. C’est au coach mental de choisir la technique en fonction de la personnalité de chaque sportif. Il faut tenir compte de sa religion, de sa culture, de ses croyances, de son éducation, de son idée du sport et de la victoire... Certains champions veulent gagner pour eux, d’autres pour leur famille, pour leur pays, pour Dieu... Tout ce qui constitue un individu interfère dans le processus d’entraînement et d’optimisation des performances. » 

Une « zone » que tous les sportifs veulent atteindre


Toutes ces techniques mentales de coaching offrent un précieux sésame pour tenter d’accéder au saint Graal : la « Zone », cet état d’éveil intérieur, synonyme de performance maximale, après lequel courent tous les sportifs. Un état de grâce, que l’on peut presque qualifié d’état second, où tout leur réussit. Où, comme l’explique Zinedine Zidane, les joueurs sont capables de se dépasser et d’agir avec un temps d’avance. Un moment d’hyperintuition où le footballeur semble avoir le ballon collé aux crampons, et anticipe le jeu de l’équipe adverse. Ce bref instant où le joueur de basket réussit tous les shoots qu’il tente, et se sent inébranlable. Ces quelques secondes où le tennisman va pressentir où la trajectoire exacte de la balle, où le nageur va exécuter sa dernière longueur en remontant tous ses concurrents de manière presque surhumaine pour gagner la course. Les anglosaxons l’appellent le « flow », la communauté scientifique, la ZOFI (Zone Optimale de Fonctionnement Intérieur) ou Zone Optimale Individuelle de Fonctionnement (ZOIF). « On sait que les zones cérébrales qui centralisent les prises de décision sont sous la dépendance de phénomènes physicochimiques qui vont entraîner une cascade d’effets métaboliques, et sécréter des neurohormones », explique Eric Parein. « Longtemps, on a cru qu’atteindre la zone relevait du coup de chance. Aujourd’hui, on sait qu’on peut aider les joueurs à se mettre en condition. Pour cela, il est indispensable que l’esprit, le corps et les émotions soient dans un état particulier d’intégrité, d’harmonie et de synergie. »


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Dans son ouvrage Flow : The Psychology of Optimal Experience, publié en 1990, le psychologue hongrois Mihaly Csikszentmihalyi, qui s’est intéressé à ce phénomène depuis 1975, explique que ce « flow » est expérimenté lorsque le sujet est totalement absorbé par son activité. Le psychologue parle de « motivation intrinsèque », un état caractérisé par « un sentiment de grande absorption, d’engagement, de concentration, de domination et de talent au cours duquel les préoccupations temporelles sont totalement ignorées, et où l’ego disparaît. Le temps passe vite. Chaque action, chaque mouvement et même chaque pensée découle naturellement et inévitablement de la précédente ; tout votre être est impliqué et vous utilisez vos compétences à l’extrême. » Une harmonie totale entre la pensée et les gestes, entre le corps et l’esprit. Le coureur automobile Ayrton Senna qui a connu la « Zone » déclarait : « J’étais en pôle position. Soudain, j’ai compris que j’avais deux secondes d’avance sur tout le monde. J’ai alors réalisé que je ne conduisais plus la voiture consciemment. Je la conduisais comme instinctivement. J’étais comme dans un tunnel : tout le circuit était un tunnel. Je continuais, encore et encore. J’avais largement dépassé mes propres limites mais j’étais toujours capable d’aller encore plus vite et de prendre encore un peu d’avance. » Pelé, un des meilleurs joueurs de football de l’histoire du ballon rond, quant à lui, dira en commentant ses exploits : « J’ai plusieurs fois ressenti comme un étrange calme, suivi d’une sorte d’euphorie. J’avais l’impression de pouvoir courir une journée entière sans fatigue, de pouvoir dribbler à travers toute l’équipe, à travers tous mes adversaires, comme si je pouvais presque leur passer à travers physiquement. ». Mêmes impressions durant certains sports d'endurance comme le cyclisme, en témoignage Richard Virenque : « Quand le physique faisait mal et que je n'avais plus de force, j'arrivais à me mettre dans un état second pour pouvoircontinuer. »

Des préparations spécifiques pour les Jeux Olympiques


Pour rester dans la Zone, les sportifs apprennent, durant leur préparation mentale des techniques d’ancrage qu’ils utilisent sur le terrain, pendant la compétition. « Quand soudain, le joueur a des doutes, qu’il est près de la spirale de l’échec, il peut remobiliser son énergie intérieure avec une image mentale ou un geste physique qui, dès qu’il va le reproduire, va déclencher une cascade neurohormonale, précise Eric Parein. En tennis, les joueurs utilisent beaucoup cette technique d’ancrage. Rafael Nadal, par exemple, frotte cinq fois son bras avec sa serviette, Ivan Lendl, lui, s’arrachait les cils. » 
Qu’en est-il des sportifs qui participent aux Jeux Olympiques ? Ont-ils tous reçu une préparation mentale pour avoir toutes les chances de monter sur le podium ? « Oui, pour l’immense majorité des athlètes, répond Eric Parein. En particulier, les Anglosaxons (Américains, Australiens, Canadiens...). En France, certains y ont recours mais c’est plus rare. Ces techniques de visualisation mentale, de concentration ou d’ancrage sont encore méconnues et donc peu utilisées car les entraîneurs estiment déjà posséder les armes nécessaires et suffisantes pour préparer les sportifs. Pourtant, la demande est croissante et de plus en plus de sportifs partent faire une préparation mentale à l’étranger. Je pense que les choses vont évoluer dans le bon sens. »